vendredi 6 mars 2015

Trafic d’animaux

Les tubes, sachets plastiques passent de main en main. Le carbet-restaurant est la plaque tournante de ce trafic. Je suis ému aux larmes du bel esprit qui règne dans la communauté. Chacun rapporte à l’autre l’animal de sa spécialité. Les orthoptèristes ne sont pas les derniers à jouer collectif et fournir régulièrement, après leurs virées nocturnes, serpents, lézards et tout ce qui peut intéresser les autres zoologistes. Ce matin, Sylvain glisse un sac devant le bol de café de Nicolas. Un Imantodes cenchoa, serpent arboricole, change ainsi de main, venant gonfler la liste des captures de reptiles. Pour Nicolas, c’est la multiplication des pains. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il ne fait plus qu’attendre ses fournisseurs au bar du coin, mais il avoue sans honte que la moitié des spécimens engrangés jusqu’alors (16 espèces) lui ont été apportées par ces fourgues bénévoles. Jusqu’aux botanistes, qui discutent entomologie ! Fouiller les broméliacées et les orchidées pour dénicher des chenilles de papillon fait désormais partie de leur feuille de route quotidienne.
Les échanges les plus fréquents se font cependant à l’intérieur même du cercle des entomologistes. Cercle large il est vrai (un tiers des participants), pour une foultitude de candidats (les bêtes) à cette bourse improvisée en pleine nature. Eddy Poirier, inlassable chasseur d’insectes qui n’a pas de famille privilégiée (il se considère comme un généraliste) fournit généreusement toute la petite société entomologique des Mitaraka. Personne ne sait encore quand Eddy dort.

Mante-feuille vue de dos © Sylvain Hugel/MNHN/PNI

Mante-feuille vue de face © Sylvain Hugel/MNHN/PNI
Evidemment, de temps à autre, un entomologiste qui s’improvise herpétologue peut subir un revers. Le Chatogecko amazonicum proposé par Fred à Maël ne reçoit en retour qu’un merci poli. La bête, considérée comme une banalité, ira aussi sec rejoindre ses congénères dans la forêt, au grand damne de celui qui aura couru après dans la nuit noire. Il va falloir aussi refréner certaines ardeurs. Vincent accumule les Phoneutria, qui lui arrivent de plusieurs filières. « C’est méchant ? » lui demande Jean-Hervé en lui tendant un spécimen de l’araignée la plus dangereuse du monde.
Les informations sur les « bon coins » circulent. Les observations naturalistes (les fameuses « obs ») hors disciplines représentées (en gros, les mammifères et les oiseaux) aussi. Une bande de Saki Satan a été vue sur le layon D, une autre de Capucins à tête blanche sur la pente du layon A. Un tapir surprit dans le bas fond du C. Quelques uns ont subit des jets de branches de singes atèle furieux d’être dérangés. On note avec soin l’endroit à éviter. Le quartier devient bien connu, au point de pouvoir refiler des tuyaux de grandes précisions pour aller voir un Microbate à collier qui niche toujours sous la même feuille de palmier ou des couples d’Aras qui vous frôlent à heure régulière sur la savane-roche.
Microbate à collier et sa feuille de palmier (toujours la même) ©Sylvain Hugel/MNHN/PNI
On nous demande souvent pourquoi nous organisons des opérations avec autant de monde, l’une des marques du programme « Planète Revisitée ». Parce que ces opérations produisent plus que l’addition de petites, à nombre de scientifiques équivalent. Parce que le collectif n’est pas qu’un esprit, qu’il provoque l’échange et le partage. C’est particulièrement vrai dans cette opération, où tout le monde donne tout à tout le monde. Biblique.
 Olivier Pascal

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