vendredi 13 mars 2015

Petit précis d’organisation – Partie 2, les transports

DZ ou ZPH. Deux acronymes (deux ou trois lettres selon le langage utilisé) qui veulent dire beaucoup pour nous et qui signifient in extenso la même chose : Drop Zone ou Zone de Poser Hélicoptère. Ce dernier terme, utilisé par les Forces Armées de Guyane (et ailleurs en France, j’imagine) est ici adopté, sans enthousiasme excessif. Après tout, c’est grâce à eux si la trouée qui nous relie au monde
extérieur existe. Petit retour en arrière. Le 14 janvier, sept militaires du 9e Régiment d’Infanterie de Marine, accompagnés par Serge (futur patron de l’auberge encore à construire à cette date) et Olivier Morillas, un agent de la Délégation de Maripasoula du Parc Amazonien de Guyane, sont déposés par hélicoptère sur une savane-roche (futur lieu de villégiature, cf. billet "Volet terrestre ou volet marin?"), seul endroit libre de végétation à quelques heures de coups de machette du lieu choisi (sur carte) pour l’implantation du camp.

Premières arrivées sur la ZPH du camp le 23 février 2015 ©Xavier Desmier/MNHN/PNI
Quelques jours de fouilles dans le secteur (trouver la combinaison : endroit plat + eau accessible + zone d’approche pour l’hélicoptère n’a pas été simple) et quelques moments d’angoisse plus tard (les tronçonneuses sont toutes tombées en panne les unes après les autres), une trouée d’un millier de mètres carrés permet au jour dit (et prévu de longue date) la première rotation d’hélicoptère. Récupération de nos hardis soldats et dépose de l’équipe chargée d’ouvrir et de baliser 25 kilomètres de chemins (layons) pour faciliter le travail des naturalistes et accessoirement, éviter qu’ils se perdent.

Carte : En bleu, partant en étoile autour du camp de base, les layons de travail – A,B,C,D - sur lesquelles les parcelles d’études sont disposées. En rouge, le chemin tracé vers le Mitaraka Sud, où une équipe de botanistes se rendra au cours de la deuxième partie de l’opération, du 11 au 27 mars. Ronds verts : zones de poser hélicoptère. Croix vertes : campements.
Ce vol inaugural de la liaison « Maripasoula – camp de base » sera suivi de nombreux autres. Vingt-six au total, si tout va bien, et si les longues heures passées à discuter et calculer les « charges offertes » nécessaires à mettre en regard du poids estimé à trimballer n’ont pas été vaines. Ces palabres tenaient compte d’une longue série de paramètres. Il fallait tenir compte du type d’appareil utilisé, des transports en cabine ou en filet, de la législation en vigueur (transport passager versus travail aérien), des combinaisons possibles ou impossibles entre matières « dangereuses », de la météo, de l’humeur du pilote et du niveau estimé de « triche » pratiqué par les uns et les autres (cf. billet "Petit précis d’organisation – partie 1, les bagages"). Si quelqu’un souhaite ouvrir une ligne régulière sur ce tronçon, nous avons les données, l’étude est faite, reste à trouver le marché. Si l’on compte les « mises en place », l’acheminement des hélicoptères depuis Cayenne vers Maripasoula dans le jargon des pilotes, c’est soixante-dix heures cumulées d’hélicoptère que nous aurons consommées.

C’est la première fois que nous n’utilisons que la voie des airs pour atteindre un lieu d’expédition dans le programme « Planète Revisitée ». Les opérations précédentes mêlaient la voie terrestre (longs trajets en voitures aux Mozambique, longs parcours à pied en Papouasie) ou le bateau (longs moments penchés par dessus le bastingage au Vanuatu). Nous nous sommes évidemment creusés la tête pour trouver des alternatives. La pirogue permet de remonter le Maroni loin dans le Sud. Deux petits affluents pouvant mener aux Tumuc-Humac existent. Leurs embouchures sur le haut Maroni, juste à l’endroit où le fleuve bifurque vers l’Ouest en territoire surinamais, sont des voies possibles, au moins sur carte, en suivant du doigt les traits bleus qui irriguent l’intérieur du massif des Mitaraka. Ces rivières (ou criques), la Koulé Koulé et l’Alama, au bord desquelles nous nous trouvons, sont difficilement navigables pour des pirogues de fort tonnage, voire infranchissables sur de grandes portions de leurs cours. Elles sont « bouchées », encombrées de troncs couchés. Il aurait fallu les ouvrir à la tronçonneuse, et sans une mission de reconnaissance aussi longue que hasardeuse dans ses résultats, il n’était pas question de parier un kopek sur la faisabilité d’une opération fluviale, même d’appoint, pour transporter ne serait-ce qu’une partie des équipements. En discutant avec Denis Langaney de la Délégation du PAG à Maripasoula, penchés sur les cartes et dotés des maigres informations rassemblées par Olivier Morillas auprès des vieux amérindiens de Taluen sur la navigabilité de ces criques, il a bien fallu se rendre à l’évidence. Seul « l’aérien » pouvait offrir quelques garanties de succès à une opération aussi lourde.

C’est aussi la première fois que l’on fait une mission « sur catalogue », sans un repérage préalable (hormis un survol en juin 2014), avec l’impression d’acheter un « tour » dans une agence de voyage rue Sainte-Anne (Paris 6e). C’est le terrain qui veut ça, et une répétition ante, soit par les airs soit en marchant pendant des semaines, n’était simplement pas possible ou aurait absorbé une grande partie du budget disponible.

Les moyens aériens mobilisés pourraient remplir les hangars d’un petit salon aéronautique (Ecureuil AS350 et Dauphin SA365, un transporteur CASA 235 de l’armée et le BN2 B-20 De la TAG pour le fret, les bimoteurs tchèques LET d’Air Guyane, sans parler des Airbus d’Air France qui permettent, en plus de transporter nos participants, de voir les films que l’on n’a pas vus – ou pas voulu voir - au cinéma). Évidemment, à chaque grande catégorie de moyen de transport ses avantages et ses défauts. Ici, la vitesse est une alliée mais la cadence imposée est l’ennemie. La rigueur des dates et des horaires à respecter imprime une rigidité préjudiciable à une logistique qui a toujours besoin de « mou », le manque de souplesse ayant comme potentielle conséquence une cascade d’ennuis. Lorsqu’il faut sauter d’un avion à l’autre et prendre un hélicoptère dans la foulée, un sac perdu entre Paris et Cayenne provoquera irrémédiablement le dénuement du propriétaire et un séjour peu confortable avec une chemise, un pantalon et une paire de baskets au pied pour passer quinze jours en forêt. Bien sûr, le liquide anti-moustique est resté dans la trousse de toilette, laquelle est dans le sac. La lampe frontale et le hamac aussi. Il faudra que le dénué soit terriblement sympathique et charmeur pour ne pas passer le pire séjour de sa vie. Une rotation d’hélicoptère à décaler pour cause de mauvais temps, sachant que ces coûteux engins ne font guère de la figuration sur le tarmac, et c’est tout le programme qui se trouve cul par dessus tête, des surcoûts auxquels il est impossible de faire face, une éventuelle annulation de l’opération, un responsable de mission submergé par la honte de l’échec, et hara-kiri comme seule sortie honorable.

Ces magnifiques appareils à la technologie sophistiquée portent donc en eux la raison du succès (encore à venir) et le germe de possibles soucis, petits ou grands. Néanmoins, tous ces engins volants – certains utilisés successivement pour des bonds de géants suivis de sauts de puce, ou associés en parallèle pour la logistique – n’auraient in fine aucune utilité si il n’y avait pas cette minuscule ouverture, cette boutonnière dans le grand tissu vert de la forêt tropicale qui permet en bout de chaîne, de concentrer en un lieu précis et pour quelques semaines 5,5 tonnes de matériel et 7 tonnes de chair humaine. Ultime point de chute qu’il a bien fallu aller ouvrir à pied et à la main.
 
La petite tâche piquetée de trois points blanc au centre de l’image, à l’aplomb de la montre de Mathias Fernandez, est la DZ du camp des Mitaraka, perdue au milieu de la grande forêt. ©Olivier Pascal/MNHN/PNI

Olivier Pascal

1 commentaire:

  1. Christophe Girod14 mars 2015 à 04:53

    Merci de nous faire vivre cette fabuleuse expédition et un grand bonjour à ceux que j'ai pu croiser en Guyane il y a quelques années, et particulièrement à Jean-François Molino et Daniel Sabatier!

    En attendant de voir quelques uns des échantillons collectés

    Amicalement,

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