vendredi 6 mars 2015

Petit précis d’organisation – partie 1, les bagages

Les demandes affluent. Installer un piège lumineux (et ses servants) sur une savane-roche pour une dizaine de jours, c’est comme mettre en batterie une pièce d’artillerie. Et l’intendance doit suivre : groupe électrogène, essence, eau et nourriture. Plus d’une centaine de kilos à trimballer et l’annonce prématurée de nos visiteurs du 8 mars et la venue d’un hélicoptère supplémentaire n’est pas restée longtemps sans suggestions pour remplir soutes et cabine. Une aubaine pour s’éviter des portages épuisants.
Le réapprovisionnement en vivre se calcule. L’évacuation des échantillons se calcule. Tout se calcule dans une mission où le moindre kilo transporté l’est au tarif du courrier express. 60 personnes sur le terrain, c’est une 1,2 tonne d’affaires personnelles. Et je ne compte pas celles des étapes de préparation, de l’équipe de l’ONF et du PAG pour l’ouverture des layons, du groupe de militaires, envoyé pour ouvrir notre zone d’atterrissage, aux paquetages incontrôlables : allez demander à un militaire de porter moins de 120 kg sur son dos.
Il en a fallut des pressions et des menaces sur les participants pour limiter leur poids de bagages. D’autant que tout bon chercheur moderne se doit d’être bardé d’appareillage électronique, ou croit devoir l’être. Tout le monde triche. Les scientifiques qui grattent quelques excédents, les transporteurs qui savent que les scientifiques trichent, et les organisateurs qui savent que les premiers ne respectent pas les consignes et que les deuxièmes offrent des charges inférieures à ce qu’ils peuvent réellement transporter. Tout est une question de mesure et d’estimation du degré de tricheries des uns et d’autres pour ajuster, en trichant en retour.
Maurice est malheureux. Maladivement technophile (il ne peut s’empêcher d’emporter avec lui tout ce qui peux exister en matière d’appareils et le tout en triple exemplaires) mais foncièrement honnête, il est l’un des rares à avoir scrupuleusement respecté le poids prescrit ; ce nombre que l’on a rendu infranchissable, en caractère gras dans des messages alarmistes, répétés sans cesse pour que rien n’existe au delà de 20. Pas même 21, ni 22, rien. Une limite absolue, imprimée dans les têtes comme un grand panneau routier, clignotant en permanence. Maurice sait que ses collègues ont triché.
Maurice leponce, dans une tenue anti-phlébotomes improvisée (voir billet 1) © Frédéric Petitclerc /MNHN/PNI
C’est l’un des rares non-français de cette expédition, avec deux autres belges et un allemand. Marc, un autre batave, et notre unique spécimen d’Outre Rhin, Jürgen, sont aussi dans les clous en matière pondérale. « L’enfer, c’est les autres », en l’occurrence nous, les français. Il faut de temps en temps sanctuariser certains clichés : oui, le gaulois est rebelle. Nous pouvons l’affirmer avec l’assurance d’une longue expérience dans la gestion de grosse population de scientifiques de toutes nationalités depuis 25 ans. Un sacré échantillonnage qui alimentera bientôt une ethnographie du scientifique de terrain.
Jamais par le passé nous n’avons eu autant de français dans une expédition. Le pourcentage élevé (la quasi totalité) de tricolores, mis en regard d’autres opérations largement panachées, a montré combien le français se fait un malin plaisir à faire le contraire de ce qu’on lui dit. Heureusement que les profils psychologiques se dessinent très tôt, dès les premiers échanges d’emails avec les candidats, dans les questions - réponses, et surtout dans les odieux retards et l’absence de réponses. La catégorie des « angoissés » contient, cette fois, peu de monde. Celle des « rebelles » est florissante. Avertis, nous avons ainsi put surenchérir dans la menace, réduire artificiellement le poids de leurs sacrées besaces, certes sournoisement, mais à temps. Et pour le bien de tous, bon poids, bon œil nous arrivons au tonnage calculé.
Le champion toute catégorie des rebelles est Christopher (véronique) Baraloto. C’est un fait étrange, vu qu’il est franco-américain. Les gènes de la rébellion sont-ils dominants ? La rébellion est-elle une maladie contagieuse ? (Christopher vit en Guyane depuis longtemps). Je vais de ce pas en parler au docteur Benmesbah (je préfère éviter d’en discuter avec le docteur Pignoux qui a eu maille à partir avec Christopher et qui l’a dans le pif depuis que Champion a « oublier » – à plusieurs reprises - d’envoyer ses documents médicaux). Je vais mettre aussi Maurice sous surveillance rapprochée, des fois qu’il nous fasse une petite rebellitte et qu’il ramène dans ces bagages des objets incongrus, dérobés ici et là. Le problème des bagages se pose évidemment à l’aller comme au retour.
Olivier Pascal

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