lundi 9 mars 2015

L’auberge des Mitaraka

J’ai eu l’occasion de vanter les mérites d’une bonne alimentation pour le naturaliste de terrain. C’était à l’occasion de la dernière expédition « Planète Revisitée » en Papouasie, qui fut et restera (j’espère) ce que l’on a fait de pire en matière culinaire. Une sorte d’exception qui confirme la règle. Le standard ici est tellement supérieur à celui de Nouvelle Guinée que j’y consacre un court billet.

La Guyane offre une démonstration éclatante des possibilités et mérites d’un camping de qualité. D’abord parce qu’il est possible d’y acheter autre chose que du « corned beef », ensuite parce que grâce à l’hélicoptère utilisé pour transporter les vivres, il n’est pas plus compliqué d’approvisionner l’auberge des Mitaraka que de remplir le congélateur de son domicile. C’est juste un peu plus cher.

Deux tonnes de nourriture acheminées les 9 et 10 février pour alimenter la troupe. Essentiellement des denrées non périssables, expression qui masque la réalité crue de la conserverie, mais pas que ça. Les quelques produits frais, au moins pour quelques jours, et secs entassés donnent une allure de rassurante abondance aux rayonnages du garde-manger. Des kilos de porc salé, qui (nous l’espérons tous) ne souffriront pas trop de la chaleur et de l’humidité, seule viande autorisée sous ce climat, quelques poulets boucanés, et le « jambon de Noël » (rapidement consommé : Réjane, qui nous approvisionne en produits frais quand l’occasion se présente, a insisté sur le fait qu’il datait bien de « Noël ») fourniront les protéines animales. Et c’est heureux, même si nous avons une « dérogation pêche », généreusement délivrée par le Parc National. « Un repas de poisson par semaine » est-il précisé dans l’Arrêté autorisant l’opération. Pas de risque de dépasser cette limite : les Aïmaras sont rares, et Olivier, malgré son expérience des trappes et des trous d’eau où la bête se repose d’habitude, n’en a pas encore attrapé un.

Les rayonnages du garde-manger de l’auberge des Mitaraka. ©Olivier Pascal/MNHN/PNI

L’intendance du camp est dévolue aux Fernandez, père (Serge) et fils (Mathias) ainsi qu’à Laetitia (Proux) et Olivier (Dummett). Après l’avoir bâti, nos quatre touche-à-tout s’emploient désormais à satisfaire la clientèle. Pour qu’ils ne soient pas submergés par les tâches de cuisine, chacun se sert le matin pour ce qu’il emmène sur le terrain. Une vaste étagère, régulièrement réapprovisionnée, offre aux hôtes le choix operculé de leurs déjeuners sur l’herbe. Serge constate avec amertume qu’il n’arrive pas à « passer » son pâté de campagne (boite verte). Il change de place les boîtes ignorées pour que leurs positions sur l’étagère soient plus attractives, ou plus évidentes à attraper. Pas question pour lui que le deuxième groupe à venir ait moins de choix. Même regret sur l’absence d’amateurs de « Quaker » ou de « Muesli » au petit déjeuner. Je lui avais bien dit que personne n’en mangerait.
Les repas collectifs du soir sont l’occasion de rassembler nos naturalistes autour de dîners exotiques dans un tel contexte. La surprise et l’étonnement se lisent sur leur visage à chaque fois. La choucroute (en boîte) accompagnée de patate douce ou « la touche verte » (selon l’expression d’Olivier) restée non identifiée sur la salade de maïs (en boîte), alimentent autant les corps que les conversations.

Repas du soir à l’auberge des Mitaraka ©Olivier Pascal/MNHN/PNI

Serge, le torchon sur l’épaule, observe les réactions de la trentaine de « clients » attablés, et fait rapidement le bilan entre ce qui est apprécié de ce qui l’est moins, sur la quantité, suffisante ou non. Le souci de bien faire, qui anime nos quatre cuisiniers improvisés (ce n’est le métier d’aucun), est parfois la cause de petites chamailleries entre le père et le fils, le second reprochant au premier sa mesquinerie sur le choix des marques et sur la qualité de certaines conserves. Serge peste parfois contre les desserts trop compliqués concoctés par Olivier.

Régulièrement, le niveau de la jauge des vivres est relevé. Il faut nourrir encore beaucoup de monde dans les prochaines semaines, l’équivalent d’un millier de repas environ. Au dernier sondage, tout va bien. Les longues heures passées à estimer les quantités, les journées à pousser des chariots dans les supérettes de Cayenne s’avèrent payantes. Les naturalistes mangeront à leur faim. Tout ça n’est bien sûr pas dénué d’arrières pensées. Aucune excuse pour faire autre chose qu’arpenter le sous-bois, aucun moyen de prétexter un ventre mal rempli pour lambiner sur les parcelles d’étude. La Science avance plus vite au son des casseroles.

Olivier pascal

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